Des forces ouvertement extrémistes au Parlement européen

Par Raphaël Roze

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Le renforcement des nationalismes s’accompagne d’une libération des pulsions haineuses sur notre continent, au point que certains partis aux idées clairement criminelles, marginaux lors du précédent scrutin, pourraient être représentés par des dizaines de députés.

Depuis le début de ce siècle (l’année 2001, avec l’attentat contre le World Trade Center de New York, donnant à la peur de l’islam une centralité inédite), l’extrême droite ne cesse de gagner du terrain en Europe. Aujourd’hui, on parle plutôt de populisme dans la mesure où le repli sur soi, identitaire, propre aux partis fascisants s’accompagne d’un rejet grandissant de la mondialisation, des institutions bruxelloises, de la démocratie libérale et représentative telle qu’elle existe depuis des décennies sur le Vieux Continent. L’attelage entre la Ligue, classée à droite de la droite, et le mouvement antisystème 5 Étoiles, qui gouvernent ensemble en Italie représente bien ce nouveau modèle qui s’apprête à occuper une large place au Parlement issu du scrutin de mai prochain.

« Tous les populistes ne se ressemblent pas. Ils désignent invariablement des boucs émissaires mais leur xénophobie s’exprime de façons diverses. »

Cela dit, tous les populistes ne se ressemblent pas. Ils désignent invariablement des boucs émissaires mais leur xénophobie s’exprime de façons diverses. Certains avancent masqués, comme le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen, pour attirer un maximum d’électeurs. D’autres confondent islam et islamisme mais ne sauraient être taxés de racistes ; en tout cas, ils récusent formellement ce qualificatif. Beaucoup ont rompu, en principe, avec l’antisémitisme traditionnel de l’extrême droite. D’aucuns sont même fanatiquement pro-israéliens (au nom du combat contre le terrorisme) et sont aussi carrément philosémites, comme le Parti pour la liberté néerlandais de Geert Wilders.

À l’Ouest, les garde-fous liés au souvenir de la Shoah persistent…

Parallèlement, les « opinions » ouvertement racistes, antijuives ou homophobes, encore taboues il y a quelques années – y compris chez les nationalistes – s’étalent ici et là dans des proportions inédites depuis la chute du nazisme. Nous avons affaire, désormais, à des courants encore minoritaires dans la galaxie populiste mais menaçants, dont les haines sont décomplexées et affichées sans précautions de langage. Une dérive quasi-inconnue en France, la législation imposant lesdites précautions sous peine de censure. Mais ces courants se renforcent dans d’autres régions d’Europe et pourraient envoyer des dizaines de députés dans l’hémicycle transnational.

Aux Pays-Bas, le Parti pour la liberté (seconde force politique hollandaise), se dit philosémite. Proche des néoconservateurs américains, ce mouvement voit en Israël un rempart indispensable contre l’islamisme. Ce « sionisme » très droitier est la seconde face d’une médaille inquiétante dont la première se caractérise par des propos haineux dont la violence surprendrait l’électorat lepéniste lui-même. Geert Wilders veut interdire la construction de mosquées, la vente du Coran et l’entrée de tous les migrants issus du monde musulman. Il a déclaré devant ses pairs de la Chambre des députés que le peuple en avait « marre d’entendre parler le turc et l’arabe » dans les transports publics, entre autres sorties racistes.

« Les “opinions” ouvertement racistes, antijuives ou homophobes, encore taboues il y a quelques années, s’étalent ici et là dans des proportions inédites depuis la chute du nazisme. »

En Allemagne, on n’en est pas là avec l’AfD ni même avec le parti anti-islam Pegida. La Cour constitutionnelle de Karlsruhe ne permettrait pas de telles dérives. De même, les appels à la discrimination ou à l’éradication d’une frange de la population sont si éloignés de la tradition britannique que les populistes pro-Brexit et xénophobes du UKIP se gardent de toute position radicale. Henry Bolton, président du mouvement quelques mois en 2017-2018, a même été démis de ses fonctions en raison d’un SMS raciste de son ex-compagne au sujet de l’épouse métisse du prince Harry.

Oliver Cole / Unsplash

En Italie ou en Autriche où l’extrême droite est membre de la coalition au pouvoir, en Belgique flamande où elle est fortement implantée et dans l’Ouest de l’Europe en général, l’inconscient collectif lié notamment au souvenir de la Shoah sert (encore ?) de garde-fou au racisme « biologique » en vogue dans les années 1930. Les véritables « nationaux-socialistes » se répartissent entre une multitude de groupuscules sans influence. Et quand ils prospèrent, comme les prétendus « Démocrates » suédois, ils oublient leurs origines néo-nazies pour un discours plus policé. En juin 2017, les Vrais Finlandais anti-migrants, qui ont effectué une série de percées électorales spectaculaires, ont dû quitter le gouvernement d’Helsinki et essuyé une forte dissidence interne qui s’est traduite par le départ de nombreux députés après la nomination-surprise à la tête du parti de Jussi Halla-Aho, un ultra condamné pour diatribes racistes. Depuis, l’extrême droite dans son ensemble est en chute dans les sondages.

… mais pas à l’Est

En Grèce, l’opinion publique semble plus perméable aux postures ostensiblement criminelles. Les fascistes revendiqués d’Aube dorée veulent créer un « homme nouveau ». Ils prônent la destruction d’Israël, comparent les migrants à des animaux… et passent parfois à l’acte avec plusieurs affaires d’assassinats recensées ces dernières années. Le parti est actuellement en perte de vitesse. Il a tout de même recueilli 13 % des suffrages lors du dernier scrutin européen, en 2014. Mais c’est surtout en Europe orientale qu’on observe une poussée nationaliste d’envergure prenant la forme terrifiante d’une aspiration à la « contre-révolution » antidémocratique et dont la haine du multiculturalisme est ouvertement raciste et antisémite.

Au Parlement de Budapest, le Jobbik milite pour une « grande Hongrie », comme à l’époque lointaine de l’empire austro-hongrois. Il organise des défilés paramilitaires, considère l’amiral Horthy – le Pétain local, allié d’Hitler – comme un héros, souhaite « enfermer les Roms » et empêcher Israël de « dominer le monde ». Il est suffisamment puissant, avec environ 20 % de sympathisants, pour peser sur l’attitude déjà très controversée à Bruxelles du Premier ministre Viktor Orbán, lequel ne cache plus son projet : faire de son pays une nation « ethniquement homogène ».

En République tchèque, le leader d’extrême droite, Tomio Okamura, a réussi à fédérer quelque 10 % des électeurs en suggérant de « promener des cochons autour des mosquées » ou en tenant des propos négationnistes sur la Shoah.

Le Parti national slovaque (PNS) est tout aussi radical. Volontiers ordurier et violemment homophobe, il détient plusieurs portefeuilles ministériels et son chef de file, Andrej Danko, préside le Parlement de Bratislava.

En Pologne et dans les États baltes, les droites traditionnelles se sont radicalisées comme en Hongrie, au point de faire barrage à la progression des groupes authentiquement fascistes. Le racisme et l’antisémitisme sont présents dans le discours public, mais restent « accidentels » au sein des partis au pouvoir ou des principales forces d’opposition. Pour combien de temps ?

Autriche : les ambiguïtés du FPÖ

Le Parti de la liberté (FPÖ), membre de la coalition au pouvoir à Vienne, s’est « recentré » depuis le décès de son leader historique, Jörg Haider, en 2008. Il n’empêche que son soutien affiché à Israël s’accompagne de sorties antisémites et propos élogieux sur le Troisième Reich émanant régulièrement de tel ou tel député ou leader local. Le mouvement cristallise l’« impensé » autrichien sur la complicité du pays dans les crimes nazis, jamais reconnue officiellement, et les ambiguïtés qui en découlent – à commencer par une certaine nostalgie du pangermanisme hitlérien.

L’inquiétante « Union des patriotes » bulgare

Si les quatre ministres de l’« Union des patriotes » bulgare, qui regroupe des mouvements d’extrême droite depuis 2017, évitent les provocations pour rester en place, le parti Ataka de Volen Siderov en est la colonne vertébrale. Or, Ataka s’est distingué ces dernières années par des injures racistes continuelles et opérations commandos contre les mosquées du pays – le plus pauvre et le plus corrompu de l’Union européenne.

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