ActualitésMémoire & HistoireImprescriptible ! La LICRA face aux crimes contre l'humanité

Imprescriptible ! La LICRA face aux crimes contre l’humanité

Le crime contre l’Humanité

Dès 1945, la LICA s’engage pour que justice soit rendue après la Shoah. Dans les travées du procès de Nuremberg, elle est présente. Joseph Kessel, l’un de ses fondateurs, couvre l’événement pour le journal France Soir et évoque ce procès historique en ces termes : « Il s’agissait de mettre tout à coup les criminels face à face avec leur forfait immense, de jeter pour ainsi dire les assassins, les bouchers de l’Europe, au milieu des charniers qu’ils avaient organisés, et de surprendre les mouvements auxquels les forcerait ce spectacle, ce choc ».

Le concept de crime contre l’humanité apparaît pour la première fois dans le droit positif en 1945 dans le statut du Tribunal militaire de Nuremberg, établi par la Charte de Londres dans son article 6. Par crime contre l’humanité, elle entend « l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu’ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime. » Ignorant le principe fondamental de non-rétroactivité des lois pénales, cette nouvelle incrimination était destinée à juger les responsables des atrocités exceptionnelles commises pendant la Seconde Guerre mondiale. La loi n° 64-1326 du 26 décembre 1964 dispose en outre : « Les crimes contre l’humanité, tels qu’ils sont définis par la résolution des Nations Unies du 13 février 1946, prenant acte de la définition des crimes contre l’humanité, telle qu’elle figure dans la charte du tribunal international du 8 août 1945, sont imprescriptibles par leur nature ».

Serge et Beate Klarsfeld : la mémoire et la justice

1967 Les colonnes du journal Combat laissent entrevoir un article signé d’une jeune allemande, mariée à un français quelques années plus tôt. Elle s’appelle Beate Klarsfeld et elle écrit : « Allemande, je déplore l’accession à la chancellerie de M. Kiesinger. Un ancien membre du parti nazi – même s’il ne l’a été que par opportunisme – à la direction des affaires allemandes, autant dire que pour l’opinion publique c’est l’absolution d’une certaine époque et d’une certaine attitude. ». Ces quelques mots lui valent de perdre son emploi à l’Office Franco-Allemand de la jeunesse. Le 7 novembre 1968, jouant la journaliste, elle apostrophe Kiesinger au Bundestag: « Kiesinger, nazi, démissionne ! » puis elle réussit à le gifler alors qu’il préside le Congrès du parti CDU. Elle est aussitôt arrêtée et condamnée à un an de prison ferme. Elle sera graciée par Willy Brandt, ancien résistant devenu chancelier en 1969.

1971 : Beate Klarsfeld retrouve à Cologne Kurt Lischka, chef de la section II du SIPO-SD en France, « agent remarquable » selon Heydrich. Il est notamment responsable de la rafle du Vel d’Hiv. Beate Klarsfeld a alors projeté de le faire kidnapper vers la France où il avait été condamné par contumace : pour cela elle a été condamnée ainsi que son mari Serge Klarsfeld à deux mois de prison. Sortie de prison le 22 avril 1971, elle est invitée par Jean Pierre-Bloch à participer au congrès de la LICA. Aux côtés de Jean-Pierre Lévy, elle est élue au Comité Central de la Ligue. En 1975, à trois reprises, les époux Klarsfeld se rendent chez Lischka avec les militants de la LICA qui s’enchaînent aux fenêtres de son bureau.

Le 11 mai 1971, six jeunes de la LICA – dont Elisabeth Hajdenberg, René Lévy et Claude Pierre-Bloch – prennent la route de Bonn pour aller interrompre les travaux du Bundestag aux cris de « Châtiez les criminels nazis ! ». L’opinion allemande est saisie par cette action d’éclat. Dans le Unzere Zeit, le journaliste relate : « leur action rappelait des vérités désagréables et d’une brûlante actualité, les anciens crimes impunis et dénonçait des responsables dont l’influence n’a pas disparu. C’était tirer dans le mille ».

Le 24 juin 1971, Beate et Serge Klarsfeld, accompagnés des jeunes de la LICA – Marc Vitkin, Monique Hajdenberg, Didier Kamioner, Raphy Marciano, Francis Lenchener et Serge Hajdenberg occupent le bureau de Ernst Achenbach à Essen. Ils redécorent les lieux avec des drapeaux nazis et déploient pas la fenêtre une banderole : « Occupation par des Français du bureau du nazi-FDP Achenbach ».

Les efforts des époux Klarsfeld portent leurs fruits. En 1975, le Bundestag allemand ratifie l’accord complémentaire au « Traité de transition » qui permet de mettre les criminels comme Lischka ainsi que d’autres en accusation. Les accusés Kurt Lischka, Herbert Hagen et Ernst Heinrichsohn sont accusés de la déportation et de l’assassinat de 40 000 Juifs français. Lors du procès de Cologne en 1980, ils sont respectivement condamnés à 10, 12 et 6 ans de détention.

En France, Serge Klarsfeld crée en 1979 l’association Fils et filles de déportés juifs de France (FFDJF), qui a pour but de défendre la cause des descendants de déportés. En 1978, il publie Le Mémorial de la déportation des Juifs de France rédigé à partir de la liste des déportés (76 000), classés par convois. Dans Le Mémorial des enfants, il essaie de retrouver la photo et l’identité de chacun de 11 000 enfants envoyés vers la mort. Ses travaux représentent une des recherches les plus abouties sur la Shoah en France.

[sta_anchor id=”nazi”]Klaus Barbie, le nazi[/sta_anchor]

En 1961, une enquête de la police allemande révèle que Klaus Barbie, ancien chef de la Gestapo à Lyon, tortionnaire de Jean Moulin, et recherché pour ses crimes commis durant cette période, est réfugié en Bolivie sous le nom de Klaus Altmann. Le 25 novembre 1954, un tribunal militaire français l’avait condamné à mort par contumace. Les Klarsfeld révèlent notamment son rôle dans la rafle des enfants d’Izieu et de leurs éducateurs le 6 avril 1944. Le 1er octobre 1971, les époux Klarsfeld obtiennent de la justice allemande la reprise de l’instruction ouverte en 1960 par le parquet de Munich contre l’ex-SS-Hauptsturmführer Barbie. En décembre 1971, ils découvrent l’adresse de Barbie qui a fui vers le Pérou à Lima et exigent son extradition. Le 19 janvier 1972, L’Aurore titre « L’ex-nazi Klaus Barbie vient de se réfugier au Pérou après un long séjour en Bolivie. La France va-t-elle le réclamer ? ».

Il est retrouvé par le journaliste Ladislas de Hoyos. A la télévision française, plusieurs victimes du « Boucher de Lyon », dont Simone Lagrange, reconnaissent leur bourreau. Le 22 avril 1973, le journal O Globo publie l’interview dans laquelle Altmann avoue être Klaus Barbie. Après bien des péripéties et des atermoiements, et l’intervention de la LICA auprès des autorités françaises, Klaus Barbie est arrêté puis expulsé vers la France le 5 février 1983 et, fait symbolique, incarcéré pendant une semaine à la prison Montluc.

Il est jugé à Lyon du 11 mai au 4 juillet 1987. La LICRA est partie civile à ce procès historique. Il est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour crime contre l’Humanité notamment pour la rafle de l’Union générale des israélites de France (9 février 1943), la rafle des enfants d’Izieu (6 avril 1944) et le dernier convoi ayant quitté Lyon pour Auschwitz (11 août 1944).

Paul Touvier, le milicien

Paul Touvier, chef régional du deuxième service de la Milice à Lyon en 1944, a pris la fuite après avoir été condamné à mort à deux reprises par la justice française en 1947. Il est notamment responsable d’une exécution d’otages juifs à Rillieux-la-Pape et de l’assassinat de Victor Basch, ancien président de la Ligue des Droits de l’Homme et de son épouse Hélène. Sur leurs cadavres avait été retrouvé l’écriteau « Terreur contre terreur. Le juif paie toujours ».

Avec le soutien de certains réseaux catholiques, il mène une vie de fugitif, se réfugiant notamment à Chambéry et dans de nombreux couvents de Savoie. Sous de fausses identités, il exerce différents métiers, notamment celui de producteur auprès de Jacques Brel qui ignore qui il est. Grâce à ce réseau de relations, il parvient à obtenir une grâce du président Georges Pompidou le 23 novembre 1971. En juin 1972, les époux Klarsfeld et les jeunes de la LICA manifestent devant la maison familiale des Touvier aux Charmettes à Chambéry pour protester contre la décision du Président Pompidou. Interpellé sur cette décision, le Président de la République déclare lors d’une conférence de presse le 21 septembre 1972 : « Le moment n’est-il pas venu de jeter le voile, d’oublier ce temps où les Français ne s’aimaient pas, s’entre-déchiraient et même s’entre-tuaient ».

En 1973, après une enquête rendue publique par l’Express, plusieurs victimes et associations de résistants déposent alors plainte pour crime contre l’Humanité. Touvier prend de nouveau la fuite, notamment en se réfugiant dans le couvent de la Grande Chartreuse en Isère. Il faudra attendre le 24 mai 1989 pour que Touvier soit arrêté dans un couvent à Nice. Paul Touvier comparaît alors devant la cour d’assises des Yvelines à Versailles, du 17 mars au 20 avril 1994, pour complicité de crime contre l’humanité. Il est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. La LICRA était partie civile à ce procès.

Maurice Papon, condamné 55 ans après

A partir de juin 1942, Maurice Papon est secrétaire général de la préfecture de Gironde aux côtés du Préfet Maurice Sabatier. Après guerre, il poursuit sa carrière dans la préfectorale, au ministère de l’Intérieur, en Corse, à Constantine en Algérie, au Maroc et en tant que préfet de police de Paris de 1958 à 1967. En 1968, il devient député gaulliste du Cher, maire de Saint-Amand-Montrond, il devient il ministre du Budget dans le troisième gouvernement de Raymond Barre de 1978 à 1981.

Le 6 mai 1981, entre les deux tours de l’élection présidentielle qui devait conduire à la victoire de François Mitterrand, le journal publie un article de Nicolas Brimo intitulé « Quand un ministre de Giscard faisait déporter les Juifs » révélant le rôle de Maurice Papon dans la déportation des Juifs bordelais. On y trouve deux documents, datés l’un de février 1943, l’autre de mars 1944, et signés de la main de Maurice Papon, alors secrétaire général de la préfecture de Gironde. Ces pièces montraient la participation du secrétaire de préfecture à la déportation des Juifs vers l’Allemagne. Papon est inculpé le 19 janvier 1983 de crimes contre l’humanité. Il est accusé d’avoir fait déporter, entre juillet 1942 et mai 1944, près de 1 600 Juifs de Bordeaux vers Drancy.

Le 8 octobre 1997, son procès s’ouvre devant la Cour d’Assises de la Gironde. Il est condamné à une peine de dix ans de réclusion criminelle, d’interdiction des droits civiques, civils et de famille pour complicité de crimes contre l’humanité. La LICRA, partie civile à ce procès.

Le génocide des Tutsis devant la justice française

La LICRA s’est également constituée partie civile aux procès de Pascal Simbikangwa, ancien capitaine rwandais de 56 ans, est jugé en appel par la cour d’Assises de Seine-Saint-Denis pour complicité de génocide et de crimes contre l’humanité au Rwanda en 1994, et de Octavien Ngenzi et Tito Barahirwa, jugés par la Cour d’Assises de Paris pour des faits de même nature.

Elie Wiesel déclarait en conclusion de son témoignage lors du procès Barbie : « Le tueur tue deux fois. La première fois en donnant la mort, la seconde en essayant d’effacer les traces de cette mort. Nous n’avons pas pu éviter la première mort, il faut à tout prix empêcher la seconde. Cette mort-là serait de notre faute ».

C’est le sens du combat que la Licra mène depuis bientôt 90 ans. Et au même titre que la Licra est née de la défense de Samuel Schwartzbard, au même titre qu’elle était là au procès de Barbie, de Touvier, de Papon, elle avait le devoir d’être là pour dire l’universalité des Droits de l’Homme et demander que justice soit rendue en leur nom.

En outre, la LICRA a demandé à François Hollande puis à Emmanuel Macron la levée du secret défense afin que toute la lumière soit faite sur l’éventuelle responsabilité de la France dans le génocide de 1994.

 

 

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N°689 – Le DDV • Désordre informationnel : Une menace pour la démocratie – Automne 2023 – 100 pages

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