Le 25 novembre 1943, la Saint-Barthélémy Grenobloise

Il y a 76 ans, du 25 au 30 novembre 1943, débutait une série d'assassinats et d'arrestations fascistes, perpétrée par des collaborationnistes aux ordres de Doriot et du PPF lyonnais (dirigé par Francis André). C'est l'histoire du massacre des principaux responsables de la résistance grenobloise, un drame trop peu connu de nos contemporains : la « Saint-Barthélemy grenobloise ».

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Buste commémoratif du Docteur Gaston Valois.

Durant la Seconde Guerre mondiale, alors que le Nord de la France est occupé par l’Allemagne nazi depuis juin 1940, la zone libre est à son tour envahie en novembre 1942 ─ excepté la région alpines, qui se retrouve sous une occupation italienne beaucoup moins violente. Ce contexte attirera à Grenoble de nombreux réfugiés persécutés et quelques universitaires militants. La ville étant proche d’imposants massifs montagneux, offrant là un abris pratique aux maquisards, elle s’imposera comme un lieu idéal pour le développement d’une résistance à l’occupant. Le 8 septembre 1943, les Alpes françaises sont à leur tour envahies par les Allemands, qui décident très vite d’éliminer cette résistance dans une vaste opération.

Le 9 septembre 1943, les Nazis occupent Grenoble. Ils sont arrivés il y a quelques semaines et ont pris le relais des Italiens. Photo MDRI

Le 25 novembre, à 18 heures, l’opération débute par les arrestations simultanées de Roger Guigue, membre du Parti communiste, dans le salon de coiffure tenu par sa femme, du journaliste Jean Pain, au café La Table ronde, et de Georges Duron, vendeur de billets de loterie, dans le magasin de fleurs de sa femme ; marquant le début de cette série meurtrière. Après leurs interrogatoires respectifs, les trois résistants seront exécutés, chacun à différents endroits de la ville.

À 14 heures, se déroule l’arrestation du docteur Girard à son domicile, suivi de son interrogatoire puis de son exécution immédiate

Le 26 novembre, à 14 heures, se déroule l’arrestation du Dr Jacques Girard à son domicile, suivi de son interrogatoire puis de son exécution immédiate. À chaque heure, une nouvelle arrestation, suivie de l’exécution, sera effectuée par l’équipe de Francis André, aidée par la milice locale. Le docteur Henri Butterlin est arrêté à 15 heures à son domicile, Alphonse Audinos à 17 h 30, puis Joseph Bernard à 18 h 30. Tous les trois seront exécutés le jour même, et leur corps seront retrouvés loin de leur lieu d’arrestation.

Docteur Gaston Valois (1888-1943). Résistant grenoblois capturé par les Allemands en novembre 1943.
Collection Musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère.

Le 27 novembre, à 2 heures le Dr Gaston Valois est arrêté à son domicile. La milice collaborationniste y découvrira d’importants documents ─ relatifs à la résistance grenobloise. Suzanne Ferrandini, la secrétaire du docteur, est également arrêtée. Au cours de leur transfert au siège de la Gestapo, le docteur Valois tentera, en vain, de s’emparer d’une arme pour se suicider. À 4h30, Henri Maubert est arrêté à la clinique des Alpes et les miliciens découvriront le reste des documents. Les informations obtenues le 25 novembre par les miliciens leur permetteront de mettre en place une souricière chez un photographe, dont le commerce était devenu une boîte aux lettres de la Résistance. À cet endroit, seront arrêtés les époux tenant le magasin, Marcel et Marcelle Boninn-Arthaud, puis Edmond Gallet, Raymond Langlet et Anthelme Croibier-Muscat. Dans l’après-midi, une nouvelle arrestation a lieu chez le photographe, il s’agit de René Mauss. Inquiet de la disparition depuis le matin d’Anthelme Croibier-Muscat, Gustave Estadès décide de rentrer à l’intérieur et tombe dans le piège ; il sera violemment interrogé au siège de la Gestapo dès 18 heures, puis enfermé dans la même cellule que le docteur Valois. Trois autres résistants seront arrêtés au cours de cette journée, René Lembourg et Maurice Taccola, qui mourront en déportation, et Henri Arbassier qui sera libéré en août 1944.

Gaston Valois sera torturé toute la nuit ; son supplice prenant fin vers 5 heures du matin. Ramené dans sa cellule, aidé par son camarde, il se tranchera les veines

Le 28 novembre, trois responsables du mouvement Combat sont arrêtés dans les environs de Grenoble : Fernand Gras à Saint-Hilaire-du-Touvet, Georges Frier à Voiron et Alfred Ducollet à La Mure. Dans l’après-midi, commencent les interrogatoires de Suzanne Ferrandini et d’Henri Maubert, puis à 19 h 30 celui du Dr Valois. Toute la nuit, le docteur sera torturé ; son supplice prenant fin vers 5 heures du matin. Ramené dans sa cellule, il demande à Gustave Estadès de l’aider à se suicider ; à l’aide de l’une des deux lames de rasoir qu’il avait dissimulé, il se tranchera les veines. Les Allemands constateront le suicide du docteur Valois à 7h30.

Jean Perrot (1904-1943), résistant sous l’occupation allemande à Grenoble.
Collection Musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère.

Au matin du 29 novembre, le Dr Victor Carrier, appartenant aux Mouvements unis de la Résistance, est arrêté à son domicile de Saint-Marcellin. Au cours de l’arrestation, le docteur est abattu et sa femme avec l’employée de maison sont transférées au siège de la Gestapo, cours Berriat. À midi, profitant d’un transfert de prisonniers dans l’immeuble, Estadès tente en vain d’informer la servante du Dr Carrier de la mort du Dr Valois.

Jean Bistesi, professeur à l’Institut d’Électro-chimie de Grenoble. Résistant dans le réseau Combat, il est exécuté par la gestapo le 29 novembre 1943 à l’âge de 37 ans.
Collection Musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère.

À la même heure, le professeur Jean Bistési, le nouveau chef départemental du mouvement Combat est exécuté à la sortie de l’Institut d’électrochimie et d’électrométallurgie. Au même moment, deux hommes se disant envoyés par le docteur Valois passent au domicile de l’industriel Jean Perrot, responsable en Isère du mouvement Francs-tireurs. Jean Perrot fait dire par sa servante qu’il est absent. Les deux hommes indiquent qu’ils passeront le voir dans l’après-midi à son bureau de l’usine Sappey. Jean Perrot pense s’enfuir mais sans nouvelles du docteur Valois et craignant qu’il ait besoin d’aide, se rend sur son lieu de travail. À 16 heures, Jean Perrot est grièvement blessé par les deux hommes qui viennent de se présenter à son usine. Il meurt à l’hôpital à 19 heures. Son beau-frère, Jean Fouletier, présent également dans les locaux est blessé plus légèrement, arrêté puis déporté en Allemagne, où il mourra le 19 avril 1945.

Quelques résistants échapperont au massacre, et le 30 novembre, Albert Reynier, futur préfet de l’Isère, rejoindra le maquis du Grésivaudan en échappant de justesse aux miliciens qui mettront à sac son appartement, et désigne son successeur à la tête de l’Armée secrète en Isère, le commandant Albert de Seguin de Reyniès.

La guerre terminée, le 1er décembre 1946, devant une foule considérable, est inauguré le buste du Dr Gaston Valois ; et depuis, chaque année, la Saint-Barthélemy grenobloise est ainsi commémorée par les autorités municipales et préfectorales.

Les sentiers de la liberté

En 2003, lors de la publication de l’un ouvrage concernant cette période tragique, l’historien Claude Muller relate dans son livre Les sentiers de la liberté le témoignage d’un ancien résistant, Émile Farsat, qui explique l’origine de l’expression Saint-Barthélemy grenobloise : « Cette période fut une période de folle inquiétude pour toute la Résistance dauphinoise. Nous nous attendions tous à être éliminés. C’est en pensant au massacre historique des protestants [en 1572] que nous avons appelé, plus tard, cette catastrophique hécatombe des meilleurs d’entre nous : la Saint-Barthélemy grenobloise. Une appellation un peu exagérée, mais qui pourtant reflète bien cette triste opération montée par un ennemi sanguinaire, aidé hélas, par des Français indignes de ce nom… ».

Plaque 5 rue Palanka, à Grenoble : 70e anniversaire de la Saint-Barthélemy grenobloise.

En novembre 2013, à l’occasion du 70e anniversaire, la une du journal municipal de Grenoble présentera une mosaïque de douze photos de victimes de cette Saint-Barthélemy grenobloise, y consacrant plusieurs pages. De son côté, le musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère consacrera une exposition temporaire de six mois à cette tragédie et le 29 novembre, une plaque sera inaugurée au 5, rue de Palanka à Grenoble rappelant la mémoire de Gaston Valois sur le lieu de son arrestation.

Observons cet épisode tragique comme un rappel à la vigilance, à la persévérance humaniste et bienveillante du combat progressiste face à la résurgence des extrêmes et la montée des radicalismes, en France, en Europe et dans le Monde.

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