ActualitésCommuniquésLes universitaires turcs face à la « justice » d’Erdogan

Les universitaires turcs face à la « justice » d’Erdogan

En Arabie Saoudite, on décapite et l’on crucifie même. En Turquie, le régime a trouvé des méthodes bien plus subtiles pour casser ceux qui osent le critiquer. On ne tue pas, du moins pas encore, on ne torture pas, du moins en principe, on ne procède même pas à des emprisonnements de masse.

Il suffit de briser psychologiquement avec une efficacité qui permet d’éviter les protestations bruyantes. « Circulez, il n’y a rien à voir. Et si vous ne nous croyez pas, circulez au centre d’Istanbul, vous y verrez une foule joyeuse dans des restaurants et des cafés noirs de monde. Alcool et tabac sur toutes les tables, ou presque, jeunes filles en tenue estivale, flirts parfois très audacieux, nous sommes à mille lieues de Ryad ou de Kaboul.»

Sauf que depuis 2016, date à laquelle a commencé à circuler une pétition demandant à l’Etat de cesser de réprimer dans le sang les velléités d’indépendance ou même d’autonomie des régions kurdes, des dizaines de milliers de fonctionnaires, dont au moins deux milliers d’universitaires ont perdu leur emploi, et tous les droits acquis y afférant. Leur seul crime : avoir signé cette pétition. Se retrouvant du jour au lendemain sans aucune ressource, il leur est de surcroît très difficile de trouver du travail car leur employeur se rendrait ipso facto lui-même suspect. Pour faire bonne mesure la plupart d’entre eux se voient retirer leur passeport, ce qui fait que même ceux à qui l’on propose un poste ou un stage à l’étranger ne peuvent l’accepter, enfermés qu’ils sont dans leur propre pays. Cela ne suffisait pas à Erdogan. En totale contradiction avec la constitution qui garantit la liberté d’expression, il a baptisé « propagande terroriste » la simple signature d’une pétition, il a fait comparaître devant les tribunaux la majorité des signataires, dont près de huit cents universitaires. 

En apparence, tout se passe dans les règles. Un tribunal avec des juges, un procureur et des avocats. Les accusés comparaissent libres, ils peuvent s’expliquer, se défendre. Après cette première audience, ils sont renvoyés chez eux. Une seconde audience, au terme de laquelle on vous demande si vous demandez le sursis. « Demander le sursis», en novlangue erdoganienne, cela signifie renoncer pendant cinq ans à toute liberté d’expression. Au demeurant, le demander, cela n’implique pas qu’on l’obtienne. De toute façon, cette parodie de justice aboutit toujours au même résultat, une peine de prison qui varie entre 18 mois et cinq ans de prison. Jusqu’à il y a quelques mois, cette peine n’était que très rarement appliquée, le régime préférant maintenir la menace pour éviter les condamnations internationales. Des cas récents montrent un net durcissement du régime. Des peines plus lourdes et l’enfermement pénitentiaire pour deux universitaires, Füsun Üstel, de l’Université de Galatasaray et pour Tuna Altinel, maître de conférences à l’Université de Lyon I, en sont la preuve. Il n’y a pas de comparution en appel. Le dossier est examiné par une cour dite d’appel à une date et selon des modalités connues d’elle seule. Vous apprenez par mail que votre condamnation a été confirmée.

Le régime turc peut être satisfait. Il brise ainsi des individus, il casse des familles, il supprime toute forme d’opposition à l’intérieur des institutions. Parler, signer, cela signifie tout perdre. De fait, les protestations des institutions internationales ont été jusqu’à présent assez molles, estimant sans doute qu’au regard d’autres horreurs dans le monde, le gouvernement turc se montrait somme toute assez modéré. Des manifestations scientifiques de grande ampleur continuent à avoir lieu, comme le congrès international d’études byzantines, qui aura lieu au mois d’août à Istanbul. Un millier de chercheurs frappés d’amnésie, oublieront dans le faste des réceptions officielles leurs milliers de collègues réduits à la misère et cherchant un passeur qui leur permettra, à prix d’or, de quitter à travers les montagnes ou par voie de mer ce pays devenu une grande geôle.

Dernier exemple en date : l’historienne franco-tuque Noémi Levy-Aksu vient d’être condamnée à trente mois de prison pour avoir signé la déclaration “Les académiciens pour la paix”. Enseignante depuis 2010 à l’Université du Bosphore (Bogaziçi) à Istanbul, elle en avait été exclue au début de 2017 pour la même raison.

Agissons ensemble !

Le DDV, revue universaliste

N°689 – Le DDV • Désordre informationnel : Une menace pour la démocratie – Automne 2023 – 100 pages

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