ActualitésAnalyseVice / Profession : recouvreur de tatouages racistes

Vice / Profession : recouvreur de tatouages racistes

Pour faire meilleure impression à son procès, l’un des agresseurs présumés de Clément Méric a fait recouvrir ses tatouages à connotations fascistes. Enquête sur un business en plein essor.


Par Pierre Longeray

C’est un homme supposément « changé » qui va se présenter à la barre ce mardi 4 septembre. Entendu par la cour d’assises de Paris, Esteban Morillo, skinhead d’extrême droite accusé d’avoir entrainé la mort du militant antifa Clément Méric en juin 2013, voudrait axer sa défense sur le fait qu’il n’est plus le même. Certes, les cheveux ont poussé (exit le crane rasé) et le style vestimentaire s’est « dé-faf-isé » (exit, les t-shirts Londsdale). Mais parfois, le passé ne s’efface pas. Du coup, il faut le recouvrir.

Avant la mort de Méric, Morillo était plutôt du genre à assumer ses idées, n’hésitant pas à se les faire graver dans la peau. Le jeune homme portait fièrement sur le bras un tatouage « Travail, famille, patrie » (la devise officielle du régime de Vichy) et sur la poitrine, le logo de Troisième voie (le groupuscule d’extrême droite radicale de Serge Ayoub, auquel il appartenait). Mais, aidé par une ancienne serveuse du local d’Ayoub reconvertie en tatoueuse, Morillo s’est fait recouvrir ses deux tatouages fin juillet – soit un mois, à peine, avant le procès.

En lieu et place de ces tatouages, une tête de mort de stylisée et…un portrait de l’écrivain H.P Lovecraft. Preuve que Morillo n’a pas complètement tourné le dos a ses amours avec l’extrême droite – les positions politiques de Lovecraft n’ayant pas toujours été des plus inspirées. À l’origine de cette découverte faite sur le compte Instagram de la tatoueuse, un membre du  « Comité pour Clément » juge que Morillo ne trompe personne : « Il n’a pas fait recouvrir ses tatouages parce qu’il a changé, mais dans l’objectif se faire passer quelqu’un qu’il n’est pas et d’alléger sa peine. Pourquoi a-t-il attendu un mois avant le procès pour les recouvrir, alors qu’il a eu cinq ans pour le faire ? »

Faire recouvrir un tatouage raciste n’est pas commun en France. Tin-Tin, légende vivante de l’encre sous-cutanée, a beau se creuser la tête, il n’a été confronté à la chose qu’une seule fois en 35 ans de maniement d’aiguille : « Il y a 15 ans, une fille est venue me voir pour faire recouvrir une croix celtique. On a fait une carte par dessus ». Sans doute frileux à l’idée de devoir expliquer à un tatoueur ce qui les a amenés à se faire tatouer un insigne nazi, ceux qui veulent effacer une trace de leur passé peu glorieux passeraient plutôt par des milieux interlopes – comme Morillo qui s’est tourné vers son réseau de sympathisants d’extrême droite.

« Ceux qui ont recouvert mes tatouages étaient des anciens voyous » – William Deligny, ancien skinhead

Au coeur des années 1980, William Deligny – dit « P’tit Willy » – a le regard noir, le crâne rasée, de la haine plein le cœur et appartient alors à ce qui se fait de plus violent en termes de groupes skinheads parisiens. Sous l’inamovible bomber noir, un imposant aigle nazi recouvre sa poitrine, alors que son crâne et ses bras sont marqués par divers emblèmes du Troisième Reich. Mais au début des années 1990, Deligny fait une rencontre qu’il n’avait pas vraiment anticipée. La foi lui tombe dessus et il décide de changer de vie en devenant moine hindouiste.

Celui qui anime désormais un groupe de bikers prônant la non-violence – et intervient même dans les écoles – explique qu’il ne pouvait pas indéfiniment se battre contre l’amour qui sommeillait en lui. « La vie skinhead revenait à chasser tout sentiment », confie-t-il. « C’est comme une guerre : vous tapez sur tout le monde. Mais à un moment, ça devient fatiguant. » Alors, pour matérialiser ce changement de vie « à 90 degrés », Deligny (qui se fait aujourd’hui appeler Yati Swami) décide de faire recouvrir tous ses tatouages, symboles de sa vie d’antan et d’une haine désormais tarie.

« Tout cela remonte à plus de 20 ans, une époque où le tatouage ne s’était pas encore démocratisé », se remémore Deligny. « Les tatoueurs qui m’ont recouvert étaient des anciens voyous, des types qui comprenaient que dans la rue tu t’embarques parfois dans des choses sans les comprendre. » À la place de son aigle nazi sur la poitrine, Deligny a fait tatouer une colline, puis un signe religieux, « parce qu’on voyait encore un peu l’aigle ». L’insigne nazi sur son crâne a aussi été recouvert par un symbole hindou, comme le reste de son corps.

« Mes deux grands-pères ont été torturés par les nazis. Couvrir un symbole de haine comme un aigle nazi est bien plus qu’un tatouage pour moi » – Louis Konstantinou, tatoueur

Si les tatoueurs chargés du recouvrement de Deligny n’ont pas posé trop de questions sur son revirement idéologique, cela ne se serait pas forcément passer de la même manière avec Louis Konstantinou, tatoueur du salon 2nd Skin à Zurich, en Suisse. Sollicité par un média suisse pour un sujet sur les recouvrements de tatouages, Konstantinou a accepté l’année dernière de recouvrir un aigle nazi sur la poitrine d’un homme qui se présentait comme un repenti.

« Mes deux grand-pères ont été torturés et emprisonnés par les nazis, donc – sans vouloir paraitre cheesy – couvrir ce symbole de haine était bien plus qu’un simple tatouage pour moi », pose le tatoueur d’origine grec, très investi dans la lutte contre le racisme. Mais avant de recouvrir l’aigle par un corbeau, Konstantinou a voulut s’assurer que l’homme avait vraiment rompu avec l’idéologie fasciste. « Je me suis lancé dans une petite interview, qui, pour être honnête, ressemblait plus à un interrogatoire », sourit l’artiste. Mais au moment de se mettre au travail, Konstantinou a remarqué que l’homme avait d’autres tatouages référents à la Wehrmacht et aux SS sur le corps.

 

« Je n’ai pas compris pourquoi il voulait que je recouvre uniquement celui sur sa poitrine… Quand je lui ai posé la question, il a été très évasif », se souvient Konstantinou. « Du coup pendant le tatouage, je n’ai pas arrêté pas de parler de sujets que les fachos détestent – pour voir s’il avait vraiment rompu avec cette idéologie. Mais il n’a pas bougé d’un poil. Par contre, s’il avait réagi, je n’aurais vraiment pas été tendre pendant le tatouage. » Encore aujourd’hui, le tatoueur se demande si l’homme était réellement repenti, mais ne regrette pas d’avoir couvert au moins un de ses tatouages. « J’aurais bien voulu tous les couvrir, mais je n’ai jamais revu ce gars. »

« Soit on regrette et on le fait sincèrement. Soit on a intérêt à le faire. La réponse se trouve dans le cœur de chacun » – William Deligny, ancien skinhead

De l’autre côté de l’Atlantique, certains tatoueurs se sont faits une spécialité du recouvrement de tatouages haineux. L’idée a germé dans le Maryland, quand David Cutlip, un tatoueur de Baltimore, s’est trouvé face à un jeune homme qui voulait faire recouvrir un tatouage de gang sur son front. L’inscription était tellement proéminente que Cutlip était dans l’impossibilité de le faire, mais s’est alors promis d’aider ceux qui voulaient se débarrasser de leur tatouages – et laisser derrière eux leur haine.

Sur sa page Facebook, Cutlip a alors posté un message expliquant qu’il recouvrerait – gratuitement – tous les tatouages racistes ou relatifs à un gang. « Parfois les gens prennent de mauvaises décisions, et parfois même ils changent », écrivait Cutlip. Très vite dépassé par le succès de son post, Cutlip a commencé à recevoir des centaines de demandes, comme celle de Randy, couvert d’insignes de l’Aryan Brotherhood (un gang néo-nazi de prisonniers californiens), qui est devenu un apprenti dans le salon de Cutlip après avoir fait recouvrir ses tatouages.

Voyant l’ampleur prise par son initiative, Cutlip a depuis lancé « Redemption Ink », un réseau de tatoueurs qui ont choisi comme lui d’offrir des recouvrements à ceux qui ont décidé d’effacer ces symboles de leur peau. Pour bénéficier de ses services, l’association demande aux tatoués de confier leur « redemption story » et de joindre une photo. Il revient ensuite aux tatoueurs d’estimer la sincérité de leur démarche. Une tâche délicate, éclaire William Deligny. « Certains se repentissent, d’autres non. Soit on regrette et on le fait sincèrement, soit on a un intérêt à le faire. La réponse se trouve dans le coeur de chacun. »

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