Après vingt-quatre ans passés à la tête de la Licra, Martine Strohl dresse un bilan peu flatteur des réflexes humains face au racisme et à l’antisémitisme.
Vous présidez la Licra Touraine depuis 1995, pourquoi la quitter aujourd’hui ?
« Avec mon mari Christian, qui me soutient depuis des années au sein de la Licra Touraine, nous partons nous installer en Normandie, mais nous restons profondément attachés à la Licra. »
En vingt-quatre années de militantisme qu’elle est votre plus belle victoire ?
« D’avoir pu entrer dans le milieu scolaire qui me passionne. Grâce à quelques chefs d’établissements et professeurs courageux, nous sommes allés dans les lycées pour débattre et combattre des clichés nauséabonds. A chaque fois, nous avons pu vérifier que le dialogue et l’écoute de l’autre pouvaient résoudre bien des malentendus. Ce ne fut pas toujours facile, notamment avec certains jeunes qui affichent ouvertement leur haine des Juifs. Les amalgames sont difficiles à combattre. »
Vous parlez de proviseurs et de professeurs courageux, est-ce à dire que la chaîne de l’Éducation nationale ne l’est pas toujours, courageuse ?
« Nous sommes dans un monde qui affiche une indifférence de plus en plus croissante et qui tend parfois vers la lâcheté. On veut éviter les vagues. Inspecteurs d’académie, chefs d’établissement, élus… Combien de fois ai-je sollicité ces gens sans même une réponse. Heureusement il y a des Jean-Louis Merlin, ancien inspecteur d’académie d’Indre-et-Loire, qui fut le seul à prendre ses responsabilités ou Stéphane Blardat, proviseur de lycée Vaucanson, qui a toujours favorisé le dialogue des cultures. »
Parler de racisme et d’antisémitisme dans des établissements scolaires en tension, n’est-ce pas risqué ?
« Au contraire. J’ai été surpris de voir combien les jeunes qui participaient à ces ateliers ressentaient un soulagement à parler. La plupart du temps, ils venaient me voir à la fin de la séance pour me dire que tel ou tel copain s’était fait insulter. Ils me parlaient aussi de racisme social ou de racisme envers les obèses. On n’était jamais loin de la psychanalyse. »
Pourtant, vous dites que le nombre de plaintes pour racisme et antisémitisme sont rares ?
« Oui, nous sommes dans une société où les gens hésitent à aller en justice. Et lorsqu’ils portent plainte, les réponses de la justice sont lentes, voire dissuasives. Récemment, nous avons traité le cas d’un policier qui avait porté plainte contre un gendarme pour propos racistes. Mais nous ne savons pas ce qu’est devenu le dossier. »
Malgré votre travail de terrain, vous n’êtes pas à l’abri d’accusations de communautarisme. La Licra ne défend-elle que les Juifs ?
« Absolument pas, même si certains le voudraient. L’essence même de mes combats et de ceux de la Licra est de s’opposer aux communautarismes. Certains qui ne l’ont pas compris, ont quitté l’association et c’est tant mieux. On a défendu les victimes juives, musulmanes et chrétiennes de Merah, comme on a défendu Christiane Taubira lorsqu’elle s’est fait insulter. »
D’où vous est venu ce sens de la révolte contre le racisme et l’antisémitisme ?
« De l’éducation de mes parents qui savaient exploiter un événement pour me faire prendre conscience des réalités de notre société et me transmettre les valeurs de justice, solidarité et respect. Et puis un film de Douglas Sirk de 1959, “ Mirage de la vie ”, où dans la sombre période de la ségrégation raciale aux États-Unis, Mahalia Jackson, reine du gospel, chante au service funèbre d’une femme noire. »
Est-ce pour cette raison que vous chantiez le blues ?
« C’est vrai, lorsque j’étais jeune, je chantais le blues. J’ai fait quelques enregistrements et je me destinais à une carrière de chanteuse de jazz. Mais je me suis mariée et ma vie a pris une autre direction. Cela dit, les figures de ces grands chanteurs et chanteuses noires ont été un des vecteurs de mon attachement à la lutte contre le racisme. »
S’il est un combat que Martine Strohl n’a jamais abandonné c’est celui de la réhabilitation locale du grand résistant juif, communiste et polonais Joseph Epstein, fusillé au Mont Valérien, avec ses 28 compagnons parmi lesquels Missak Manouchian (l’Affiche rouge). A son arrivée de Pologne, de 1931 à 1933, Joseph Epstein a été inscrit à la faculté de Tours. C’est à ce titre que la Licra a demandé sans relâche qu’un site public, de préférence universitaire, porte le nom de Joseph Epstein. Après plusieurs refus peureux de personnalités locales, c’est finalement Christophe Bouchet, maire de Tours et Sophie Auconie, conseillère municipale et députée, qui ont accédé à la demande de la Licra. Un lieu sera donc bientôt baptisé du nom de Joseph Epstein à Tours.
- Martine Strohl est née le 4 octobre 1950 à Casablanca. Marié, un enfant.
- Arrive à Tours en juillet 1961. Entre au sein de l’inspection d’académie où elle sera notamment responsable des lycées et collèges. Prend sa retraite en 2013.
- Entre à la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme en 1989, et prend la présidence de la section Touraine en 1995. Elle fera également partie du bureau national de la Licra.
- Elle a initié de nombreuses actions pédagogiques, tant à l’intérieur des établissements scolaires que dans les salles de spectacle, les terrains de football ou les lieux de recueillement. Elle a également apporté son expertise auprès du service de la Protection judiciaire de la jeunesse.
- Le président par intérim de la Licra est désormais Gervasio Semedo, professeur de science-économie à la faculté de Tours.