Les travaux de la Cour d’Assises des Yvelines débutent en ce 30 mars 1994 dans une relative désorganisation et un peu de brouhaha. Le Président du Tribunal, Henri Boulard, décide de l’ouverture des scellés de l’affaire Touvier.
Depuis le 17 mars 1994, la justice a en effet entrepris, enfin, le procès de celui qui, en 1944, après un stage à l’École d’Uriage et une première mission en Savoie, exerça les fonctions de chef régional de la Milice à Lyon, au 5 impasse Catelin. Condamné à mort en 1946, Touvier avait pris la fuite au cours d’un transfèrement pour échapper à sa peine et, de couvents en monastères, avait trouvé au sein de l’Église des soutiens individuels mais très organisés pour abriter sa cavale. Le 23 novembre 1971, le Président Pompidou, contre l’avis de son Garde des Sceaux, René Pléven, prononce la grâce de Paul Touvier, pensant tourner la page en « jetant le voile» sur « le temps où les Français ne s’aimaient pas ». En réalité, il allait en ouvrir une nouvelle qui allait conduire Touvier devant ses juges. Devant l’annonce d’une telle décision, des parties civiles décident de déposer plainte contre Touvier pour les seuls crimes qui ne connaissent aucune prescription : les crimes contre l’Humanité.
Dès lors, le passé de Touvier, de nouveau en fuite de peur d’être arrêté, affleure aux yeux du plus grand nombre : l’assassinat de Victor Basch et de sa femme, en janvier 1944 – et sur les cadavres desquels Touvier avait laissé l’inscription « Le juif paie toujours », l’assassinat de sept juifs à Rillieux-le-Pape les 28 et 29 juin 1944 en « représailles » de l’assassinat de Philippe Henriot, Ministre de l’Information du Maréchal Pétain.
Arrêté en 1989, après une cavale bénie par des réseaux catholiques intégristes, Touvier est renvoyé devant la Cour d’Assises des Yvelines pour complicité de crime contre l’Humanité dans l’affaire de Rilleux.
En ce 30 mars 1994, le Président Boulard entame donc l’inventaire des affaires saisies sur Touvier lors de son arrestation. Archiviste maniaque, graphomane en cavale, Touvier vivait au sein d’un véritable mausolée portatif du pétainisme en exil : insigne « gamma » de la Milice, intégralité des œuvres du Maréchal, extraits des discours de Pie XII, coupures de presse sur l’affaire Basch. Et puis au milieu de cet amoncellement, un petit carnet vert manuscrit, un « amusement » selon Touvier. En marge d’un article de presse sur André Frossard, rescapé de la baraque aux Juifs de la prison Montluc, il note « sinistre commerçant juif ». Un dimanche soir, après la diffusion de l’émission «7 sur 7» au cours de laquelle Anne Sinclair avait invité Elisabeth Badinter, il note : «ordure juive TF1». Après l’émission « Questions à domicile » ayant invité Jean-Marie Le Pen, il note « «Enfin un peu d’air pur.».
Dans ses carnets, il éructe contre « le cinéma juif » et applaudit le négationniste Roques. La salle est accablée : antisémite en 1944, Touvier l’a été, avec une constance de jardinier, cinquante années durant et au cours de sa cavale, à l’ombre des abbatiales, il a continué à traquer les juifs. Lors d’une interview accordée en septembre 1980 au Quotidien de Paris, il avait prévenu : «Je ne regrette pas mon passé. Mon combat, c’était le bon combat.».
Le 20 avril 1994, il reconnu coupable « de s’être à Lyon, les 28 et 29 juin 1944, sciemment rendu complice d’un crime contre l’humanité, d’une part en donnant des instructions, d’autre part en aidant ou assistant avec connaissance les auteurs des homicides volontaires commis avec préméditation, sur les personnes de MM. Glaeser Léo, Krzyzkowski Louis, Schlusselman Maurice, Ben Zimra Claude, Zeizig Emile, Prock Siegfried et d’un homme non identifié, alors que lesdits homicides volontaires entraient dans le cadre d’un plan concerté pour le compte d’un Etat pratiquant une politique d’hégémonie idéologique, en l’occurrence l’Allemagne nazie, à l’encontre de personnes choisies en raison de leur appartenance à une collectivité raciale ou religieuse».
Il est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Lors de ses obsèques célébrées en l’Eglise intégriste de Saint-Nicolas-du-Chardonnet en juillet 1996 , un curieux aréopage s’est réuni pour écouter la messe en latin et le dithyrambe pétaniste de l’abbé Philippe Laguérie : «Voici l’heure de la comparution de Paul Touvier devant un tribunal divin, où il n’y a pas de médias, pas de communistes, pas de franc-maçonnerie ou de LICRA. Mais il vaut mieux tomber entre les mains de la justice de Dieu qu’entre celle des hommes (…) Honneur à cette Église catholique qui a compris que l’ordre et la paix vont de pair. (…) Malheur aux communistes et aux socialistes.»». Et une groupie, agacée par la présence de la presse, de lâcher : «Il a raison l’abbé Pierre ! vous êtes tous manipulés par Israël ! (…) Je déteste tout ce qui est américain, juif et communiste.». Antisémites incurables, jusque dans la tombe.