ActualitésCulture1 jour, 1 texte #12 : André Frossard, Le crime contre l'Humanité

1 jour, 1 texte #12 : André Frossard, Le crime contre l’Humanité

Il revenait à notre siècle, le plus inventif qui fut jamais, le siècle de tous les progrès, qui maîtrise l’impossible et qui va d’étoile en étoile à la recherche des commencements de l’univers, de surpasser aussi tous les autres en tueries.

Le catalogue poisseux de ses hécatombes est le plus noir de sang de toute l’histoire. Les morts des deux guerres mondiales se comptent par dizaines de millions, auxquels s’ajoutent les victimes du génocide arménien de 1915, du génocide cambodgien de 1970, des guerres d’Espagne, du Viêtnam, du Proche-Orient, d’Algérie, d’Afghanistan, de la révolution d’Octobre, de la paranoïa hitlérienne et stalinienne, de la Révolution culturelle en Chine, qui auront dépeuplé la planète de l’équivalent de quatre ou cinq nations comme la nôtre. J’en passe, j’en oublie.

Et je ne parle pas des petits massacres d’intérêt local, du terrorisme ou de la guérilla, des ruées homicides des Sikhs ou des Indiens, du sang versé par les dictatures d’Amérique du Sud, des déportations meurtrières des pays baltes ou d’Éthiopie ; je ne dis rien, pour le moment, de la torture, abolie à la fin du XVIIIe siècle et rétablie par le XXe avec l’équipement tout neuf emprunté aux laboratoires de la médecine psychiatrique.

Jamais l’être humain n’a été mieux étudié, ni mieux guéri ni mieux tué.
Dans le même hôpital, on le soigne au premier étage avec une patience, une ingéniosité et des sollicitudes exquises ; au deuxième, son fœtus passe dans le vide-ordures.

Il y a crime contre l’humanité lorsque l’on tue quelqu’un sous prétexte qu’il est né.

André Frossard

On peut protéger l’homme de tout, excepté de lui-même. Ce siècle étonnant, qui aura commencé d’acquérir sur la matière des pouvoirs que l’on eût autrefois qualifiés d’angéliques, a reculé presque à l’infini les limites que la nature avait opposées de tout temps à l’emprise des sciences et des techniques ; mais il aura reculé aussi les limites de la barbarie, et vu se perpétrer une sorte de crime inconnu des âges révolus, un crime sans exemple et sans précédent, le crime contre l’humanité.

Ce crime n’est à confondre avec aucun autre. Il ne relève pas des fureurs de la guerre, qui, pour la plupart, ne restent pas sans réciprocité. Il s’agit d’une nouveauté absolue, qui réunit des éléments que l’on n’avait pas encore trouvés conjoints dans une seule et même action criminelle. Une nouveauté telle, que la justice internationale, après avoir inventé l’expression, a eu toutes les peines du monde à la définir. Elle n’y a d’ailleurs pas réussi pleinement.

La cour de Lyon qui jugeait Barbie aurait pu s’y employer. Mais, outre que la loi ne demande pas à la cour d’assises de motiver ses verdicts, elle en eût été empêchée par la défense, par les parties civiles, et surtout par un texte ambigu de la Cour de cassation qui, pensant clarifier le sujet, l’aura plutôt obscurci : l’intention était bonne, l’effort méritoire, mais on songe au mot d’Aristote, rendant une manière d’hommage à l’un de ses prédécesseurs en disant de lui qu’il avait « été écrasé par le poids de la question qu’il avait soulevée ».

Agissons ensemble !

Le DDV, revue universaliste

N°689 – Le DDV • Désordre informationnel : Une menace pour la démocratie – Automne 2023 – 100 pages

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