Née en 1909, proche des milieux de la droite nationale avant la Seconde Guerre mondiale, Marie-Madeleine Fourcade s’engage dans la Résistance sous l’Occupation. Elle prend la tête du réseau Alliance en juillet 1941, après l’arrestation de son chef, Georges Loustaunau-Lacau. Implanté en zone Sud puis sur l’ensemble du territoire français, Alliance effectue un important travail de renseignement militaire, en lien avec le MI6 (services secrets britanniques).
Après la guerre, Marie-Madeleine Fourcade est très impliquée dans les associations de résistants et préside le Comité d’action de la Résistance (CAR) à partir de 1962. Elle s’associe aux activités de la Ligue internationale contre l’antisémitisme (LICA) et participe notamment à un grand meeting contre l’antisémitisme à la Mutualité, le 12 janvier 1960. Elle préside le banquet de clôture du 24econgrès national de la LICA, le 27 avril 1963, d’où est tiré l’extrait reproduit ci-dessous. Seule femme à avoir dirigé un grand réseau de résistance sous l’Occupation, elle est une figure majeure du monde résistant dans ses combats de l’après-guerre : elle intervient en de multiples circonstances, comme lors du procès de Klaus Barbie, en 1987, pour éclairer la réalité du nazisme et du génocide.
Décédée le 20 juillet 1989, elle est la première femme dont les obsèques, très officielles, se sont déroulées en l’église Saint-Louis-des-Invalides (Paris). En 1968, elle a publié ses souvenirs de guerre sous le titre L’Arche de Noé.
“Les canons se sont tus. Mais un silence oppressant ponctué, de ci, de là, d’éclatements sourds, pèse sur l’humanité. Une humanité qui se réveille de la plus grande crise des temps modernes, née de déchirements idéologiques et de légitimes sursauts d’indépendance.
Affreuse, tragique, désolante guerre idéologique qui fut notre lot ici-bas, provoquée par le délire d’un fou, mais aussi par la capacité d’obédience d’une foule d’hommes fanatisés par le mythe de l’emprise totale de l’homme sur l’homme.
Guerre hideuse où l’homme parvint à détruire de sa main davantage d’hommes que ne put le faire l’armement le plus perfectionné.
Guerre de volontés tenaces, de génocides où la soumission ne conduisit que plus certainement aux abîmes de la destruction systématique du corps et de l’esprit.
De cela, nous sommes sortis. Et de cette leçon, de cette leçon cuisante, nous avons puisé un respect accru de la condition humaine. Nous avons douloureusement compté nos morts, pansé nos plaies, puni, dans la mesure du possible, les bourreaux, tout en sachant que la punition, bien entendu, n’atteindrait jamais à la hauteur du crime.
Nous avons aussi rétréci nos frontières, mais élargi notre horizon, en prenant, par la voie de la décolonisation, le propos bien délibéré de donner, pour notre part, à cette humanité qui se cherche, à cette humanité qui se veut libre, la possibilité d’atteindre au sommet harmonieux de la coopération des races fit des forces, seul but digne de la civilisation et du progrès.
Plus d’un quart de siècle, mes chers amis, vient de s’écouler sur ce palier de l’histoire, cet immense palier. Mais vingt ans à peine nous séparent de ses épisodes les plus sanglants. Varsovie, cœur saignant au milieu du drame, sursaut d’un cœur qui a voulu battre plus fort, battre jusqu’à en mourir pour le compte de ces millions de cœurs étreints par les gaz des chambres fortes. Varsovie a été l’exemple du sursaut suprême car nous savons maintenant, avec d’atroces précisions, que ce qui est arrivé là menaçait tous ceux qui ne voulaient pas se soumettre à la race des seigneurs.
Menaçait l’Europe entière d’être quoi ? D’être une « Europe sans enfants ». L’extermination des Juifs et celle des tziganes dont nous parlions hier au Congrès, dont nous parlait ce chef des tziganes, n’en était que le grand prélude.
Oui, il y a vingt ans, le ghetto de Varsovie poussait son grand cri de sirène d’alarme, et ce cri nous permet d’être là ce soir.
(…)
Pour la plus grande part d’entre nous, si nous en sommes sortis vivants, c’est, voyez-vous, très simple : parce que nos camarades n’ont pas parlé. C’est parce que nos camarades sont morts, fusillés, déportés, morts des suites de tortures et de déportation,
Et pourquoi sont-ils morts ? Ils sont morts pour nous permettre de continuer.
Car je suis persuadée que seule l’idée que nous continuerions a pu adoucir leur fin dernière. J’en ai reçu trop de preuves.
J’ai reçu de leurs mains trop de lettres, les dernières lettres, les derniers messages, cachés dans le chauffage central des prisons, j’en ai reçu trop de preuves pour ne pas en avoir la certitude absolue.
Pour eux, nos morts, nos martyrs, continuer, cela signifiait, bien entendu, remporter la victoire, mais aussi cela signifiait faire en sorte que l’on ne puisse pas revoir cela. Et ils comptaient sur nous.
Nous avons reçu ainsi un double héritage : celui de transmettre à la postérité la vérité historique, et celui d’exercer, et d’exercer vraiment, une vigilance constante sur la résurgence du nazisme et de ses séquelles.”