ActualitésMémoire & HistoireBenjamin Orenstein, pour mémoire

Benjamin Orenstein, pour mémoire

Par Stéphane Nivet, Délégué général de la LICRA

La vie de Benjamin Orenstein s’est achevée, au bout d’un chemin de près de 95 années. Rescapé de la Shoah, il a connu l’abîme de l’antisémitisme, dans sa chair. Il a traversé un siècle déshonoré par la haine des juifs et la volonté de les exterminer. Son regard éperdu par les épreuves, sa poignée de main ferme, sa colère d’Homme et son accent yiddish, témoignage d’une époque engloutie, ne laissaient personne dans l’indifférence. 

A l’évocation de l’histoire de Benjamin Orenstein, jamais sans doute le mot de « survivant » n’a eu autant de sens. Sa vie, c’est d’abord celle d’un enfant juif né le 4 août 1926, au coeur de l’Europe, à Annopol, un shtetl situé près des rives de la Vistule, à 70 kilomètres de Lublin. Son père Nahum et sa mère Tova, ont eu avant lui trois fils, Haim, Jacob et Léon et une fille, Hinda. Très tôt, il est confronté à l’antisémitisme de son village : les vexations et les mises au ban, dans une atmosphère d’hostilité qui, comme il aimait à le rappeler, « avait bien préparé le terrain aux nazis ». Quand la guerre éclate et que la Pologne est envahie, son calvaire commence et l’antisémitisme n’en finit plus. Son shtetl devient ghetto. En bonne santé et dans la force de l’âge, il se substitue à son père dans les camps de travail mis en place par les nazis pour asservir leurs victimes. 

Des camps, il en connaîtra sept. Le 4 août 1944, jour de ses 18 ans, il arrive à Auschwitz. Le reste de sa famille a disparu. Il est le dernier et il est seul. Interné dans le camps des Tsiganes qui viennent d’être exterminés, il vit l’enfer à Birkenau. Devant l’avance de l’Armée Rouge, les Marches de la Mort le laissent dans un état déplorable – 32 kilos – au camp de Dora. Libéré le 11 avril 1945, il entame une nouvelle errance. Après un séjour en France, à l’hôpital de Thionville, il est envoyé en Suisse, à Trevano, grâce aux réseau d’entraide de l’Agence Juive. A bord d’un bateau affrété par la Haganah, il gagne la Palestine et s’installe dans un Kibboutz à Aloumot où il participe à la guerre israélo-arabe de 1948-1949. En 1951, changement de décor. Il décide de venir en France s’attachant à ce qui lui restait de famille : un cousin qui vivait désormais à Lyon. Il y rencontrera sa femme et y fondera sa famille. 

Benjamin Orenstein, comme nombre de survivants, garda longtemps pour lui-même et pour ses proches cette épreuve indicible. Au milieu des années 90, pourtant, le développement du négationnisme dans sa ville, à Lyon, lui fait prendre le chemin des écoles pour commencer à raconter et à parler. Un jour de mars 1997, des étudiants prennent contact avec lui, par l’entremise de l’archevêché, dans un café de la rue de la République. Ils s’appellent Pierre-Jérôme Biscarat, Frédéric Bove, Bertrand Wert, notamment. Ils se mobilisent dans des associations – Hippocampe à Lyon 3 et Mnémosyne à Lyon 2 – contre le négationnisme qui a défiguré les universités lyonnaises. Ils lui demandent de parler et d’accompagner 120 étudiants à Auschwitz, pour témoigner et transmettre. Benjamin Orenstein s’était juré de ne jamais remettre les pieds sur « cette terre de malheur ». Il se résout finalement et accepte. Ce premier voyage en appellera d’autres, nombreux. Il sera de tous les combats, ne refusant jamais une occasion de venir combattre les disciples de Faurisson. En lui remettant les insignes de chevalier des Palmes académiques le 19 mai 2006, le recteur Alain Morvan, engagé lui aussi contre les faussaires de l’Histoire, a fort bien résumé le sens de la vie, de la deuxième vie de Benjamin Orenstein : «  J’ai vu l’an dernier à Auschwitz-Birkenau des jeunes filles et des jeunes gens en larmes après vous avoir entendu. Ces pleurs, c’était l’averse féconde qui fait germer et ressurgir l’Humanité. (…) Oui, je sui impressionné de décorer un héros. Héros, pour avoir résisté au mal lorsque des hommes s’employaient, pour reprendre la magnifique formule de Malraux, à concurrencer l’Enfer ». A chaque commémoration, à Izieu, rue Sainte Catherine à Lyon ou sous le regard tutélaire du Veilleur de Pierre de la place Bellecour, sa voix faisait résonner avec courage sa souffrance avec celle de ceux qui, à 1500 kilomètres de son shtetl, sont morts du même antisémitisme que sa famille. 

Des juifs d’Annopol, il ne reste presque plus rien. Leurs maisons sont occupées par d’autres. Aucune sépulture, si ce n’est, au bout d’une lignée d’arbres frêles, un petit carré juif et cinq pierres tombales du XVIIIème siècle qui ont réussi à tenir debout et à ne pas finir, comme la plupart d’entre elles, par daller les cours des fermes alentour. 

Stéphane NIVET
Délégué général de la LICRA

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2 Commentaires

  1. Un homme qui aimait la vie et transmettait aux enfants des valeurs d’amour et de partage.Il précisait « qu’il ne fallait pas oublier pour ne pas que l’histoire se répète ». Mes élèves gardent,de sa visite en octobre, le souvenir d’un grand homme. Merci Monsieur, vous allez nous manquer.

  2. Un vrai “mensch” qui avait gardé sa simplicité et ses valeurs fondamentales. A l’enterrement de mon père, il y a 5 ans, il m’a dit :” j’étais à la montagne, mais il fallait que je vienne”. Qu’il reste à jamais dans nos mémoires.

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