ActualitésLe DDVRéplique à Nuremberg

Réplique à Nuremberg

Éditorial par Emmanuel Debono, rédacteur en chef du DDV. Publié dans Le DDV • Revue universaliste N°692 – “Les enfants et le racisme” – Printemps 2024 (En savoir plus).

Ingérences, agents d’influence, espionnage, manipulations, journalistes stipendiés, soft power, propagande des régimes dictatoriaux diffusée par de multiples canaux, dans de multiples langues, à travers le monde et dans « la plus grande France ». « La plus grande France », celle qui unit la métropole à ses territoires d’outre-mer et à ses colonies. Oui, nous sommes bien dans les années 1930, aux premiers temps de la Ligue internationale contre l’antisémitisme, alors totalement engagée dans la lutte contre les dictatures fascistes.

Les alertes répétées en direction des pouvoirs publics, des élus, de la société civile, au sujet de la propagande ennemie mais aussi face aux stratégies d’influence des puissances, sont au cœur de l’histoire de la Licra. La dénonciation des agents hitlériens et mussoliniens, la volonté de documenter leurs activités, l’appel à la fermeté… La désespérance aussi, souvent, devant le refus de voir, de prendre conscience, devant la tentation de minimiser, des citoyens libres, de qui obscurcit l’horizon.

Guerre asymétrique

Replonger dans l’Histoire, relire Le Droit de Vivre, c’est faire le constat de l’étonnante actualité du passé et conclure, aujourd’hui comme hier, à la grande vulnérabilité des démocraties en prise avec ceux qui ont juré de la détruire. Cette difficulté à se défendre est une constante : un État de droit, cela s’empêche ! Cela fonctionne avec des règles, des lenteurs et lourdeurs bureaucratiques, des processus de décision et de validation… sans compter le respect du principe sacro-saint de la liberté d’expression. On ne peut décemment pas la protéger en recourant aux armes de l’ennemi : l’intoxication, l’empoisonnement, le harcèlement, la corruption. Les régimes autoritaires, qui vivent pour et par le mensonge, ont une longue tradition en la matière. La vérité, à l’opposé, anime la vie démocratique. Elle est cet horizon sans lequel aucun de nos combats pour la justice, l’égalité en droits et en dignité n’est légitime ni possible.

Instiller le doute, la critique systématique, par la désinformation, le relativisme, en disséminant des récits alternatifs, en répandant des théories du complot, en les poussant sur les médias sociaux grâce à des systèmes automatisés, des « botnets », des hackers, des fermes à trolls… telles sont la réalité et l’envergure des menaces qui pèsent aujourd’hui sur nous, et qui situent l’enjeu de vérité au cœur des combats.

C’est une menace réactualisée, une guerre de l’information dont la technicité et la portée n’ont évidemment plus rien à voir avec celles des années 1930, mais qui rejoue un match existentiel entre les autocrates et les démocrates.

La haine de la liberté

Bernard Lecache, fondateur de la Lica établissait un lien organique entre les régimes autoritaires et le racisme, l’antisémitisme, la discrimination. Cette lecture demeure celle de la Licra car la discrimination est inhérente à l’asservissement, à l’exploitation, au contrôle que ces régimes mettent en place. Toujours, ils divisent, catégorisent, ciblent des minorités et les persécutent, comme le font les autorités chinoises avec les Ouïghours. Toujours, ils érigent l’apartheid, comme le font les autorités iraniennes avec les femmes. Toujours ils commettent des massacres, des crimes contre l’humanité, comme en Ukraine avec une agression russe entrée dans sa troisième année. Rien n’est plus insupportable aux régimes autoritaires que la liberté et les droits des peuples. Usant et abusant de nos libertés et de nos faiblesses, de notre appétence pour la diversité des opinions et les débats contradictoires, les tyrans coordonnent des opérations d’influence visant à déstabiliser nos institutions, à polariser et fracturer l’opinion pour susciter le chaos au sein de nos systèmes.

Riposte globale

Écoutons David Colon[1], qui en appelle à un « état d’urgence informationnel » et à une « riposte globale ». L’historien explique qu’à la guerre froide, indirecte, a succédé une guerre immédiate, permanente, une guerre de l’information, à mort.

Nous avons plus que jamais besoin de l’éclairage des experts sur les acteurs, les techniques, les technologies, les narratifs de cette guerre pour comprendre et alerter à notre tour. Nous devons également réfléchir à ce qu’une organisation comme la Licra, presque centenaire, peut à son modeste niveau contre des menaces immatérielles, souvent incontrôlables, contre lesquelles de simples argumentaires ou des appels à la raison sont de peu de poids.

Pour autant, la force de nos engagements réside précisément dans le fait de fonder nos actions sur l’idéal de vérité, la préservation du cadre démocratique, d’une langue et de repères universels, sans lesquels nulle communication et nul avenir collectif ne sont envisageables. Se détourner de ce cap, écrivait Lecache en 1937, à l’heure où la riposte était encore possible, « c’est prendre le chemin de Nuremberg »[2]. Il nous faut vite répliquer à Nuremberg.


[1] Lire notre grand entretien, pp. 12-17.

[2] Bernard Lecache, Vous n’êtes plus des esclaves, Paris, Édition du Droit de Vivre, octobre 1937.

Agissons ensemble !

Le DDV, revue universaliste

N°689 – Le DDV • Désordre informationnel : Une menace pour la démocratie – Automne 2023 – 100 pages

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