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Une résolution antisémite

La Licra dénonce et condamne avec force l’initiative scandaleuse d’une proposition de résolution déposée par des députés membres de l’alliance Nupes prétendant condamner «l’institutionnalisation par Israël d’un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien». La singularisation outrancière d’une démocratie, cette volonté forcenée de la criminaliser et de la présenter sous un prisme racialiste a un nom : antisémitisme.

Une résolution « condamnant l’institutionnalisation par Israël d’un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien » a été déposée à l’Assemblée nationale par des membres de la Nupes. Elle doit être replacée dans un double contexte.
Celui d’abord de deux polémiques antérieures, déclenchées par la gauche radicale : l’accueil par Danielle Simonnet, en juin 2022, de Jeremy Corbyn, ancien leader du Labour Party sous l’autorité duquel l’antisémitisme a prospéré au sein des forces travaillistes ; un tweet de Mathilde Panot, le jour même de la commémoration de la rafle du Vél d’Hiv’, le 16 juillet, choisissant de ne pas rappeler que les victimes étaient juives et assimilant le président de la République Emmanuel Macron aux sphères pétainistes.
Le deuxième contexte renvoie à l’agenda politique. Cette résolution, déjà déposée en mai dernier avec moins de signataires, revient un mois à peine après l’élection de la nouvelle Assemblée nationale ; elle est intervenue en outre de manière inopinée, en plein débat sur le pouvoir d’achat. Certaines questions, visiblement, n’attendent pas et peinent à dissimuler leur caractère intrinsèquement obsessionnel. Il en va ainsi de la question antisémite qui se nourrit des contextes de crises mais témoigne aussi de son autonomie et de sa persévérance.

Vous avez dit « race » ?

Un certain nombre de députés de gauche ont donc jugé urgent de remettre le couvert antisioniste et d’inscrire à l’ordre du jour, à travers la dénonciation d’un prétendu « apartheid israélien », le vieux trope antisémite du « racisme juif ». Mais qui vous parle des juifs, rétorquera-t-on, alors qu’il est question d’Israéliens ? Las, l’argument s’effondre par la seule allusion, dans le texte de la résolution, à ce « régime institutionnalisé d’oppression et de domination systématique » exercé « par un seul groupe racial ». Figurant dans la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale de 1965, que citent les députés pour justifier une attaque en règle contre la prétendue discrimination d’État que mènerait Israël, l’expression « groupe racial » est reprise et assumée comme telle, sans les moindres guillemets préventifs, par les rédacteurs et signataires de la proposition. S’agit-il d’une « race » israélienne ? La vérité oblige à rappeler qu’il y a deux millions d’Arabes en Israël, citoyens de cette démocratie, qui partagent les mêmes droits que les autres citoyens (Tcherkesses, Turkmènes, Abyssiniens, Coptes, Maronites), sont représentés à la Knesset et disposent, entre autres, des mêmes possibilités d’agir en politique ou sur le terrain social.
« Israélien » n’étant pas synonyme de « juif », reste à saisir l’impensé ou l’aveu : c’est bien de la « race juive » dont il s’agit ici, de cette notion directement empruntée aux classifications et représentations racistes des XIXe et XXe siècles, que mobilisent en ces circonstances des élus de gauche.
Quelle gauche ? Les héritiers de celle qui avait enfourché, dès 1967, le cheval de bataille de l’antisionisme, confondant déjà, allègrement, les termes « juifs » et « sionistes », provoquant la sidération chez ceux qui croyaient encore que les héritiers de Jaurès formaient un rempart naturel face aux préjugés archaïques. En 1973, Robert Badinter notait au sujet de cet antisémitisme avançant sous le masque de l’antisionisme que c’était « sous les traits de la générosité, (…) sous les traits, paradoxe suprême, de l’antiracisme (…), sous les traits de la défense des opprimés que nous l’avons vu apparaître ! »1.

Dévoiement de l’Histoire

Comme de coutume, il faut diaboliser au maximum ce que l’on veut éradiquer. L’argument de l’ « apartheid » pour qualifier le régime d’Israël est ancien. Faisant référence au régime raciste que fut la République sud-africaine de 1948 à 1990, il permet une criminalisation maximale d’un État dont il ne reste, après cela, qu’à souhaiter l’écrasement et la disparition. Qui ne voudrait empêcher de nuire un peuple « oppresseur » et « dominateur » ? 
Les rédacteurs de cette proposition de résolution connaissent-ils le sens des mots ? En connaissent-ils aussi le poids ? Savent-ils l’Histoire ou ne s’y réfèrent-ils que pour l’instrumentaliser de manière malhonnête, en conférant à un État – dont chacun, et au premier chef les Israéliens eux-mêmes, reste libre de critiquer la politique – le statut historico-juridique de l’apartheid qui institua un racisme et une discrimination d’État, un régime de séparation des populations rigoureusement régi par des lois fondées sur le racisme biologique ?
Une situation qui a si peu à voir avec la réalité israélienne, dont la complexité nationale et géopolitique est délibérément gommée, comme d’ailleurs tout ce qui permettrait de caractériser Israël comme une authentique démocratie parlementaire. Il s’agit ici de singulariser absolument des carences et des défaillances, qui ne sont aucunement propres à Israël.

Antisémitisme

Cette absolutisation d’un « peuple », cette singularisation outrancière d’un État riche de la variété de sa population, cette volonté forcenée de le criminaliser et d’introduire une dimension racialiste qui permet de confondre « Israéliens », « sionistes » et « juifs », a un nom : antisémitisme.
Cette focalisation de certaines franges politiques sur la situation d’un État caricaturé à souhait – comme le peuple qui lui est associé –, quand de multiples pays où les droits humains sont bafoués inspirent le déni ou le silence, a un nom : antisémitisme.
Cette manière obsessionnelle de mener une guerre idéologique en s’emparant du narratif diffusé depuis de nombreuses années par les franges les plus extrémistes et les plus radicales du conflit israélo-palestinien, et notamment par le Hamas, en usant de la violence verbale tout en se revendiquant du camp de la paix et de la justice, a un nom : antisémitisme.
Cette façon de chercher à allumer le feu en portant au cœur d’une des plus hautes instances de notre République une propagande dont on sait, car maintes fois attesté par les attentats de ces dernières années, le caractère inflammable et destructeur, a un nom : antisémitisme.

Cette manipulation perverse des mots, des faits, de l’Histoire et des images est par excellence l’outillage traditionnel de la propagande antisémite. Il n’aura fallu qu’un mois pour qu’une quarantaine de députés y recourent, dans une stratégie de harcèlement qui fait craindre le pire pour la République. Car si l’antisémitisme cible « les juifs »2, nonobstant la diversité qu’ils incarnent, il constitue une menace directe pour les libertés et l’égalité de tous.
La représentation nationale ne peut devenir le théâtre d’une offensive antijuive. Le recours au mensonge, aux approximations et aux accommodements de circonstance, pour asseoir de flagrantes contre-vérités, constitue un travail de sape des institutions que les forces démocratiques doivent tenir pour ce qu’il est, et refuser avec la plus grande fermeté.

Agissons ensemble !

Le DDV, revue universaliste

N°689 – Le DDV • Désordre informationnel : Une menace pour la démocratie – Automne 2023 – 100 pages

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