ActualitésLe DDVPourquoi Samuel Paty n’a-t-il pas eu le droit de vivre ?

Pourquoi Samuel Paty n’a-t-il pas eu le droit de vivre ?

Par Mario Stasi, Président de la Licra. Publié dans la nouvelle formule du DDV, revue universaliste. Décembre 2020. Trimestriel. 100 pages.

Notre journal entre avec ce numéro dans une nouvelle ère à un moment particulier de notre histoire.

Dans ces mêmes colonnes, en février 1932, dans le premier numéro du journal, mon prédécesseur Bernard Lecache réclamait le « Droit de vivre ». Nous ne pouvons que constater, 88 ans après, que nous en sommes réduits à la même demande. Il y a quelques semaines, un islamiste décapitait un enseignant de la République, Samuel Paty, parce qu’il avait simplement voulu expliquer la liberté d’expression et le droit de caricaturer une religion à ses élèves. Il y a quelques semaines, un islamiste assassinait des catholiques dans leur église, à Nice, simplement parce qu’ils priaient un autre Dieu que le sien.

Les crimes passent et nous croyons atteindre à chaque fois le niveau extrême de l’horreur intégriste. Depuis 2012, près de 300 hommes, femmes et enfants ont été tués par des terroristes en France, sur le sol de France. Depuis plusieurs années, avec Ilan Halimi, avec les attentats de Toulouse, avec Sarah Halimi ou encore Mireille Knoll, on a vu de nouveau des juifs, parfois des enfants, mourir en France parce qu’ils étaient juifs. Nous avons marché, nous avons pleuré, nous avons condamné, nous avons déploré, nous avons hurlé. Aujourd’hui, nos jambes sont engourdies, nos yeux fatigués. Mais notre détermination et notre résolution sont intactes.

En choisissant de refonder Le Droit de Vivre avec l’historien Emmanuel Debono, nous décidons d’agir, de prendre notre part dans la bataille culturelle, intellectuelle, politique pour la République. C’est un choix assumé. Nous le devons à Samuel Paty. Car enfin, de quoi est mort Samuel Paty si ce n’est de la longue accumulation des défaites et des trahisons culturelles, intellectuelles, politiques qui ont précédé son supplice et qui ont levé tous les interdits moraux qui auraient dû l’empêcher ?

Depuis des années, nos principes ont cédé sous le poids de lâchetés et d’abandons collectifs, notamment à gauche, qui ont conforté à la fois le séparatisme islamiste et le nationalisme identitaire d’extrême droite. Faute de convictions républicaines assumées, fermes et déterminées au combat, de provocations impunies en accommodements déraisonnables, nous avons vu l’opinion peu à peu sombrer dans le relativisme et l’idée que l’essentiel de nos principes devenait matière à négociation, à transaction et même à réparation !

Car enfin, de quoi est mort Samuel Paty si ce n’est de la défiance grandissante de notre société à l’égard de la liberté d’expression, à ces pétitions indignes qui portaient en sautoir le fait de ne pas être Charlie, qui caressaient le doux désir de rétablir une sorte de soft droit au blasphème, sous forme d’autocensure et d’une précautionneuse volonté néocoloniale de « ne pas choquer » des groupes essentialisés comme victimes perpétuelles et sacralisés en tant que tels comme intouchables ? De quoi est mort Samuel Paty si ce n’est de l’aveuglement de nos élites qui, par peur ou pire, par conviction, se sont empressées d’enterrer une bonne partie des propositions de la commission présidée par Bernard Stasi et le rapport de Jean-Pierre Obin alertant sur les dangers pesant sur l’école ?

Car enfin, de quoi est-il mort, si ce n’est de la guérilla interne à notre propre combat et qui a vu, des années durant, l’État « observer » la laïcité à défaut de la défendre ; mais qui a vu aussi nos plus belles commissions indépendantes labelliser à longueur de rapports scélérats les mots de l’islamisme et du racialisme indigéniste en même temps qu’elles taisaient, à dessein, ceux du nouvel antisémitisme ou projetaient la dissolution pernicieuse et progressive d’un universalisme exigeant, seule ambition salvatrice d’une République qui se fragmente ?

Notre journal, dans sa nouvelle version aurait pu s’appeler Combat car c’est à cette tâche que nous voulons nous atteler pour faire jaillir du choc des idées les outils pour éclairer l’opinion, offrir à chacun les instruments de la raison et avoir, pour reprendre Camus, « le courage de la nuance », celui qui conçoit pour chacun « le droit de vivre ».

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1 COMMENTAIRE

  1. Laura et Mauranne poignardées à Marseille…Sans compter toutes les victimes de viol comme à Evry…Mal nommer les choses ajoute au malheur du monde disait Camus. Ou ne pas les nommer du tout. Tant que le nouvel antisémitisme et le racisme anti-blancs resteront tabous, tant que l’extrême droite (et non pas l’extrême gauche) indigéniste ne sera pas nommée par son nom, tant que l’on persistera à ne pas voir que le monde post 2000 n’est pas le monde d’il y a 60 ans ou plus, alors je ne vois pas ce qui pourrait empêcher notre société de plonger encore plus dans la barbarie et l’obscurantisme.

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