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Ressaisissons-nous !

Le mot de Mario Stasi, président de la Licra. Publié dans Le DDV • Revue universaliste n°690 « Crimes contre l’humanité » – Printemps 2023 (En savoir plus).

« Je vous dirai ce que je crois vrai et non ce que vous auriez plaisir à entendre. » Qui désavouerait, en son nom, ces mots adressés par Raymond Aron à un parterre d’étudiants allemands, à l’Université de Francfort, le 30 juin 1952 ? Quelle femme, quel homme politique ? Quel journaliste ou militant associatif… ?

Il s’agit d’une flamboyante profession de foi qui doit résonner et couvrir le bruit des orages violents que nous traversons.

Il y a d’abord la probité, celle d’un orateur qui s’apprête à discourir sur l’Europe et l’unité de l’Allemagne et qui, en guise de préambule, affirme d’emblée qu’il va parler selon ses convictions et qu’il ne flattera pas son auditoire.

Il y a aussi la modestie d’une grande figure intellectuelle qui va dire « ce qu’il croit vrai ».

Il y enfin la hauteur morale de celui qui déclare, dans le même préambule, refuser la langue partisane à l’endroit de jeunes consciences européennes.

Démagogues d’hier et d’aujourd’hui

La stature d’un Aron, qui se dévoile ici en quelques mots, pourrait nous inspirer. Cette exigence éthique, respectueuse de ses interlocuteurs, parce qu’elle prend le parti de chercher à convaincre plutôt que de flatter, il nous faut, aujourd’hui, et sans doute aujourd’hui plus que jamais, la rencontrer chez les responsables politiques, chez nos élus, de quelque courant politique que ce soit.

Loin de moi l’idée d’une critique généralisée, mais trop de dérapages ces derniers temps, trop de laisser-aller et de vociférations, d’arrangements assumés avec les contre-vérités ou les mensonges éhontés nous font craindre un affaissement pur et simple du cadre républicain, celui par lequel tiennent nos droits fondamentaux.

Les populistes de tous bords l’ont bien compris, eux qui rêvent de bouleversements, de révolutions sinon d’insurrections. Ils attaquent le « système », remettent en cause la valeur du suffrage, l’essence démocratique des institutions, leur légitimité… Par opportunisme, ambition et sectarisme, ils surfent sur le mécontentement et alimentent dangereusement celui-ci.

Ces dérives sont inhérentes aux crises sociales et les démagogues y font traditionnellement leur marché. Les conduites qui entachent les fonctions électives devraient pourtant déshonorer ceux qui les incarnent, et entraîner des mises en retrait forcées ou des mea culpa sincères. Or, ce n’est pas le cas et le mensonge et l’insulte font recette. Dire ce que l’on ne croit pas forcément vrai mais que l’on sait pouvoir plaire à des auditoires remontés comme des horloges, s’est imposé comme une stratégie politique dont il y a des bénéfices évidents à tirer. Plus de followers, plus de likes, plus d’électeurs, plus de voix… En peu de mots et sans expertise particulière, la bataille de l’opinion se gagne avec des petites phrases assassines. Les démagogues d’aujourd’hui ressemblent à s’y méprendre à ceux d’hier : la lumière qu’ils produisent ne jaillit pas du choc des idées mais de leur aptitude à capter l’attention en se souciant très peu de la véracité des faits, sans jamais craindre les outrances verbales et en évitant toujours le débat contradictoire et constructif, véritable pouls de notre démocratie.

Du relativisme à l’abandon

Je l’ai écrit dans une tribune au Monde le 26 février : il s’agit là d’une dérive qui paraît se généraliser. Si la recette marche, à l’heure où l’arène politique et, au-delà, les relations humaines paraissent emprunter leurs règles aux réseaux sociaux, pourquoi s’en priver ? La réponse devrait pourtant paraître évidente. Si l’on n’y prend garde, au nom d’une même conception prétendument absolutiste mais radicalement narcissique de la liberté d’expression, celle qui prévaut chez Elon Musk, le cadre républicain qui régit tous les droits et toutes les libertés ne tiendra plus face aux assauts de ceux qui ne se soucient plus de l’intérêt commun, ceux qui ont perdu le sens et la foi même dans ce qui nous unit, par-delà nos divergences et nos différences.

Cette courte vue mortifère qui tient souvent lieu de boussole politique fragilise les institutions. Elle nous habitue collectivement à l’idée qu’il n’y a plus de nécessité à les préserver ou d’impératif à les défendre… Et l’on ne reconnaîtra plus de légitimité au peuple « légal » ou alors toute relative… De ce relativisme naît le détachement et l’abandon. Que l’on ne s’y trompe pas : la fin du cadre n’annonce pas l’avènement de la liberté absolue mais bien l’âge d’une dérégulation totale des droits individuels et collectifs, dans un capharnaüm qui précèdera leur disparition.

Combattante de l’universalisme, la Licra ne perdra pas sa boussole et continuera à dire à ses adversaires ou à ses amis d’hier ou d’aujourd’hui ce qu’elle croit vrai !

Oui, la République peut faiblir, oui, elle peut fléchir. Ce n’est pas une vue de l’esprit, c’est une leçon de l’Histoire. Ressaisissons-nous ! 

Agissons ensemble !

Le DDV, revue universaliste

N°689 – Le DDV • Désordre informationnel : Une menace pour la démocratie – Automne 2023 – 100 pages

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